Vendredi 8 juillet 2016

Si ces 3 jours d’escale à Qaqortoq nous ont appris quelque chose c’est bien d’oublier tout ce que nous attendons d’une marina. Nous sommes désormais officiellement rentrés dans la zone « folklo » le mardi 5 juillet vers 11h du matin. Il y a un bassin « plaisance» composé de 3 pontons sans bornes d’électricité ni d’eau. 95% des embarcations locales sont en effet des bateaux moteurs, d’à peine plus de 4 m, équipés de HB dernier cri et au mieux, d’une cabine pour se protéger du froid. Les habitants n’ont aucunement besoin de ce genre d’infrastructure, comme nous en Europe de l’Ouest (à Qaqortoq du moins). Ils font leur fuel à la borne et embarquent des jerricans d’eau selon leurs besoins. Deux longs quais sont mis à disposition pour les navires de commerce ; ces derniers sont ornés de gros pneus de camion et avec des échelles d’accès un peu bancales tous les 30m. Nous nous sommes amarrés au fond du « bassin de commerce » dans un premier temps, constatant que visiblement, les 15m et 15 tonnes de Manevaï ne passeront jamais sur les pontons (surtout sans bornes d’eau ni élec ‘)…

Première étape, remplir les formalités maritimes (crew list et douanes … on espère) au bureau du port. « Where is the harbourmaster ? » demande Eric « He will be back soon » répond un employé local dans son meilleur anglais (ce sont surtout des mots et des gestes; déjà qu’on leur impose le Danois, nous ne pouvons pas espérer non plus qu’ils apprennent en plus la langue de Shakespeare, non mais oh). La position du harbourmaster restera un mystère jusqu’au lendemain. Bon … pas de formalités alors ; on passe à l’eau.

Lors de notre approche dans le port nous avons commencé par faire un tour de reconnaissance et profité pour demander autour de nous où nous pouvions approvisionner en H2O. Ca aussi, folklorique comme expérience. Le mot « water » ? on comprend pas, on prend donc une bouteille de flotte et je la montre à quelques pêcheurs locaux en mimant des gestes de remplissage. « Little red house » me dit-on, le long du quai de commerce. OK … Il y a en pleins des « little red house »  mais on lui accorde notre confiance, on est bien obligés après tout, on ne connaît pas les environs. Accostés, on descend à terre avec Philippe pour continuer le repérage ; ça tangue un peu chez moi, j’ai l’impression de marcher en état d’ébriété pendant quelques minutes. On a trouvé l’eau : une borne utilisée par les pompiers (comme dans « Backdraft ») donc avec un diamètre trop grand pour notre petit tuyau jaune. Il nous faut l’adaptateur. Sans harbourmaster et sans pompiers en vue, on ne peut rien faire, on passe à l’avitaillement. Je repère un petit magasin en face des pontons plaisance « Sissimiat » (ou quelque chose comme ça) je rentre dedans pour m’apercevoir qu’il s’agit plutôt d’un espèce de GiFi : ustensiles de cuisines, jouets d’enfants en plastique « made in China » … pas de pommes de terre ni de citrons verts en vue. Le Gin Tonic attendra. Sniff. En sortant, j’ouvre la porte du magasin à un jeune papa qui rentre avec son petit en poussette. « Hello, are you the French yacht that has just arrived ? » (Mon pantalon de quart m’a bien trahie) « Yes, we are looking for fresh water for the boat and a supermarket » je lui réponds « Ok, let me show you ! » Il oublie ses courses et me montre le supermarché « Pissifik ». Il demande au bureau du port pour l’eau (non, toujours pas d’adaptateur MAIS son utilisation est gratuite) et nous invite boire un café chez lui, prendre une douche si l’on veut, même utiliser son WiFi. Rien que d’entendre le mot « WiFi », mes yeux pétillaient de joie, mes tympans résonnaient allègrement. La douche… je m’en fiche un peu à ce stade. Super tentant quand on sait que le seul café-snack n’aura le WiFi que la semaine prochaine (dommage) et que l’hôtel ne la propose qu’à leur aimable clientèle (pas très commercial, mais bon). Je le remercie poliment . « Ivak » il s’appelle (Danois je présume et son petit se dénomme « Urikiel ») et lui réponds qu’il fallait que je voie avec l’équipage d’abord avant d’accepter son invitation. Trop, trop sympa les gens ici. On ne verra jamais ça en France. Je reviens au bateau, Eric intercepte un camion de pompiers, discute un peu et monte dans le camion « Ca y est, il s’est fait draguer par le pompier et nous abandonne » dit Philippe en plaisantant. On rigole tous et nous l’attendons au soleil. Il fait peut-être 15°C. On enlève quelques épaisseurs (on finira plus tard en T-shirt, mais ça, je raconte après). Eric revient avec l’embout qu’il nous faut pour utiliser la pompe. « C’est un beau sex toy ça » lançai-je… L’humeur (et l’humour) doivent rester légers après 19 jours en mer … On maintient un certain standing en sortant des vannes comme ça. Ne pas prendre au pied de la lettre donc svp.

Si vous voyiez l’embout, vous penseriez la même chose haha. On manœuvre pour se placer en face de la borne, Eric déroule le tuyau, fixe le « sex toy » et déclenche la pression pour rincer l’avant du bateau et le Foc que j’ai failli ne pas réussir à hisser car mes cheveux sont restés coincés dans le winch… L’eau est jaune, mais jaune pipi concentré … Oula … On ne peut pas remplir nos caisses avec un jus pareil … On se refugie à l’intérieur Anne, Philippe et moi le temps qu’Eric rince tout le sel stagnant. Expérience car wash en mode « Éléphant Jaune ».  Rinçage complété, Eric s’exclame que l’eau est devenue claire. Sauvés !

Il est presque 15h, on a faim. Des restes nous suffiront pour cette fois. L’après-midi promet d’être riche en besognes : nettoyage intérieur complet, démontage de l’étai de trinquette, lavage de trinquette et du pont. Ce soir-là, nous avons dîné vers 23h mais ô … quel dîner. J’ai fait des vols au vent (soigneusement découpés par Anne) avec une sauce aux cèpes, champignons, st jacques et crabe. Mes chevilles gonflent déjà en vous racontant ça mais c’est la première fois que j’en fais et c’était excellent. Nous avons gardé le reste de la sauce pour accommoder nos spaghettis le surlendemain midi. D’ailleurs, le lendemain, l’installation continue. Eric part de bon matin à la poste locale charger des unités sur une clé 3G et cherche toujours le harbourmaster. Il revient penaud car la clé est chargée mais pas active. On y retourne. On fait quelques courses. On revient au bateau. La clé fonctionne. Eric peut skyper l’équipe à terre pour faire un point sur la trinquette. Anne fait cuire des pommes de terres fraîchement achetées. Il est presque 15h. On a acheté une viande blanche mais il nous est impossible de savoir de quelle viande il s’agit …  On verra à la cuisson … hmm … nous pensons que c’est du porc. On sort la moutarde. Notre première viande fraîche depuis le jour de notre départ de Kinsale. C’est qu’on devient de vrais carnassiers après 19 jours sans protéines animales … il est vrai qu’avec les conditions que nous avons eues, il était impossible de pêcher quoi que ce soit ! L’après-midi nous a occupés à refaire des courses, à vérifier le gréement complètement et à quelques autres bricoles. Nous étions tellement dans notre bulle de Bob le Bricoleur que nous avons totalement perdu la notion du temps. On picore quelques olives et bruschetta et on avale une soupe de poisson vers 23h. Nous sommes morts après toutes ces manips et ces changements de places … Oui parce qu’il y eu un gros cargo ; le « Royal Arctic Lines » qui est venu décharger sa cargaison vers 16h au moment où nous prenions nos cafés post-repas. Drôle, car la veille nous avions fait aussi un déplacement au même moment afin que nos voisins Australiens puissent eux aussi s’avitailler en eau. On ronchonne un peu mais on s’y fait. Nous sommes désormais à couple d’un bateau de pêche en face du bassin plaisance, qui partirait le lendemain à 8 o’clock Greenland time … donc, on ne sait pas. Peu importe, on se couche tous rapidement pour se réveiller de bonheur. Nos ventres réchauffés de café et biscottes le jour suivant, on s’attend à des bruits de moteurs avant 08:00 … rien … 08:20 … toujours rien. 08:45 ? Ouiiiii. On profite pour faire du fuel … pour les 600 litres … en une seule fois … BIM ! Nous arrivons avant un plaisancier local en vedette qui tirait une sacrée tronche de mécontentement. Imaginez-vous avec la vôtre et qu’un gros bateau étranger vous passe devant pour remplir 600 litres de gazole. Vous aussi vous bouderiez un peu, ne mentez pas (surtout si c’était le cas lors des pénuries il y a quelques semaines …) Nous effleurâmes à peine les 600 litres et c’est avec 599.39 litres de gazole que nous repartîmes tout sourire. Lors du remplissage, quelques barcasses motorisées se faufilent derrière et devant nous pour faire leurs pleins. Quand je vous disais qu’elles faisaient 4 m maximum, ce n’était pas des salades : Manevaï dépassait du ponton d’amarrage pour le fuel d’au moins 2 mètres de chaque côté. La note était salée mais raisonnable comparée aux prix en France. Ici, c’est 80 centimes le litre, nananerre.

Le folklo continue alors que nous partons à la chasse à la machine à laver. C’est la maison bleue là-bas. Non, c’est à l’hôtel. En fait, c’est la maison beige là-haut. Aucune version ne s’accorde bien et nous, on perd un peu les pédales. On s’accroche encore et en passant devant une école, je demande pour le « washing ». On me pointe du doigt une maison bleue (tiens, tiens) en face du petit ruisseau de montagne qui traverse la ville. Effectivement on voit « Vaskeri » (Pour Guillaume, non ce n’est pas de la Vache Qui Rit). A nouveau sauvés ! On rentre et c’est là que le folklo prend toute son ampleur. Il s’agit d’une blanchisserie professionnelle. Les machines à laver sont d’une telle taille qu’elles pourraient loger trois jeunes enfants, ça sent la buanderie, le propre, le réconfort. Deux vielles dames presque octogénaires sont dans la salle. On montre nos sacs à l’une d’entre elles qui part tout de suite au fond chercher le téléphone. On me tend le téléphone. « Hello ? » ah, on comprend l’anglais ! J’explique notre situation et la jeune dame au bout du fil me demande si on peut récupérer le linge demain matin (vendredi matin donc) « Euh bah c’est à dire que l’on part demain matin serait-il possible de venir le récupérer ce soir, plutôt ? » « Oui, vers quelle heure ? »  « 19 :00 ? » On me dit que oui. Cool. La prochaine étape est d’expliquer aux dames que certaines pièces ne se laveront jamais à 60°C (les polaires de Philippe notamment, ça lui a tracassé une partie de l’après-midi). Nous empilons notre linge sale dans deux tas séparés. On leur montre les températures sur le cadran du programme de lavage de leurs
machines « normal 30°C » et 60°C. Les dames nous semblent toujours confuses. C’est là qu’une jeune femme rentre dans la buanderie et commence à nous parler en anglais. Sa voix me paraît familière. C’est bien elle que j’ai eue au téléphone à l’instant. Elle explique aux vielles dames pour les deux tas et je profite pour reconfirmer l’horaire. 19:00, toujours ok. « Oyana ! » ça veut dire merci en groenlandais. On nous chasse un peu de la « casa Cajoline » et la jeune femme dont le prénom restera imprononçable (car beaucoup de « a ») propose de nous conduire au sommet de la ville pour admirer le point de vue. On accepte volontiers.

Arrivés là-haut, Wow… On voit bien la ville, séparée en deux par un isthme étroit, les icebergs sur le fond, éclairés par une lumière feutrée. Anne et moi jouons comme Laura dans « La Petite Maison dans la Prairie » et dévalons la pente pour couper à travers les rochers plutôt que descendre par le chemin en béton, comme l’ont fait les garçons (pour préserver leurs articulations, et ils ont raison). On rentre au bateau. On mange nos spaghettis avec la sauce vol-au-vent … dehors au soleil sur la « terrasse
»… et en T-shirt s’il vous plaît (je vous l’avais dit plus haut que j’y reviendrai). Notre après-midi fut consacrée à la pulvérisation de notre caisse à eau tribord et à son remplissage par la suite. J’ai fait un brownie (enfin … j’ai ajouté deux œufs et 125g de beurre fondu à une préparation ; j’aime bien ce genre de pâtisserie et le restant de l’équipage aussi).  L’après-midi se transforme en fin et il est l’heure d’aller récupérer notre linge, propre et pas en mode « Chérie, j’ai rétréci les polaires ». On grimpe les routes sinueuses de la ville pour trouver notre graal de Dash 3 en 1. C’est fermé … m****. On ne pourra pas partir ce soir, comme prévu. Auraient-elles compris 07h du matin ? L’heure d’ouverture de la blanchisserie, fermée depuis 15h … C’est quand même quelque chose d’être coincé dans notre programme pour quelques pauvres chaussettes et petites culottes. Eric nous requinque d’énergie et nous propose de mouiller à 3 nautiques, à Karrarmiut. Comme nous ne sommes pas branchés, autant profiter des environs et du calme pour un mouillage sympa. La traversée vers 19h30 courte fut parsemée d’icebergs … avec des
jolies couleurs de ciel dans des tons pastel rose. Nous arrivons dans une anse protégée en forme presque parfaite de demi-cercle avec un passage d’entrée. Nous jetons l’ancre au pied de l’île montagneuse. On entend « Bêêêêêh ». Nous ne sommes pas seuls. Deux moutons noirs se fondent dans ce paysage minéral. Je sors le bouquin de cuisine de Michèle Meffre et commence à lire ses conseils pour la chasse. Quand je vous dis que les appétits carnassiers reviennent une fois à terre … On se contentera ce soir-là de pommes de terre frites cuisinées par Eric, avec un bon pâté de canard et du brownie en dessert.

Nous manœuvrons vers Qaqortoq à nouveau le lendemain de bonheur pour récupérer notre linge. On regrimpe, Anne, Philippe et moi vers la casa Cajoline. Désemparés, on sourit en prenant nos sacs de linge propre et repassé et on se tait. « Oyana, bye ». Une bonne chose de faite. On ne tarde pas à partir maintenant que nous avons tout. Nous décidons de faire route par les chenaux étroits, mal hydrographiés et ornés d’icebergs et de growlers car, c’est plus drôle comme ça, n’est ce pas ? Il faut rester vigilants, ce qui ne nous a pas empêchés de nous échouer. Plus de peur que de mal. On profite pour faire quelques manips d’entretien et attendons gentiment que la marée remonte. On repart vers 18h20. Quelque part, cet échouage a été pour quelque chose car nous avons repéré plusieurs souffles de baleine plus haut dans le chenal, proches du large. Souffle vertical, ce sont des rorquals, explique Eric (pas des rorquaux). On en voit à une centaine de mètres à notre 50° puis beaucoup plus loin devant. La cadence
des souffles s’accélère. Nous aussi, on se rapproche d’elles. Anne s’arme de son gros objectif et fonce à l’étrave pour tenter de capturer ces belles bête; une plonge. Puis une deuxième. Puis une troisième, dandinant leurs queues avant leur plongeon final. La scène fut tellement magique qu’on aurait pu applaudir. Nous applaudirons cela dit les photos d’Anne, dignes de National Geographic, que l’on essayera de vous faire parvenir dès notre arrivée à Nuuk, prévue dans trois jours. On jette la pioche à Maageloeb. Le cadre est idyllique, il n’y a pas un chat. Bonifacio au mois d’août, quoi. On aperçoit une « carcasse » d’annexe échouée sur le rivage et une bouée à notre sud-ouest ; les seules traces de civilisation qui gâchent un peu le cadre. On se réchauffe vite avec des saucisses lentilles alors que je lis à l’équipage le même roman que vous. On se couche tard, vers minuit.
Aujourd’hui, samedi 9 juillet 2016, nous traçons notre chemin à travers le labyrinthe de chenaux pour commencer à faire route vers Nuuk. Quelques têtes noires apparaissent de temps à autre hors de l’eau. Ce sont des phoques. J’en ai même aperçu une à 15 mètres à peine devant l’étrave qui faisait la curieuse. Les eaux doivent être extrêmement riches en poisson ici. Vivement que l’on commence à jeter les filets avant de lancer les amarres à notre prochaine escale.

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