Mercredi 7 septembre
Ca y est! Le moment tant attendu depuis 12 longues semaines éprouvantes, semées d’embûches, injectées d’adrénaline et riches en émotions, est enfin arrivé. S/Y Manevaï est le 71 ème voilier de plaisance à avoir franchi avec succès le mythique Passage du Nord-Ouest.
Cet exploit ne fut que chimère le 8 juin puis est devenu réalité le mardi 7 septembre 2016 à 15h48 lorsque ce majestueux dériveur intégral passa paisiblement sous GV haute et Génois tangonné entre les îles de la Petite et de la Grande Diomède.
Le NWP est une quête de navigation qui a inspiré les plus braves navigateurs depuis plus de 400 ans et depuis plus de 40 ans pour Eric. Le NWP, nous l’avons cherché. Nous en avons tous tant rêvé mais aussi appréhendé, jusqu’à mal en dormir la nuit.
Avant d’accoster dans le port de Nome, notre première escale officielle en Alaska derrière nos amis de « Breakpoint » hier, le 08/09/16 à 14h35, 6 750 nautiques ont été parcourus depuis notre départ de Brest. Nous vivons avec nos tripes depuis 3 mois, avons changé nos habitudes, pris des points de repères différents de ceux que nous connaissons à terre. Nous avons pénétré un territoire presque vierge, à peine civilisé et habité d’histoire. Dans ses eaux vivent encore les étraves qui ont pu y siller. Celles des « Gjoa », « Terror », « Erebus ». Certains équipages ont été chanceux dans leur traversée, d’autres y ont laissé leurs vies et des épaves. Cette vaste partie des continents groënlandais, canadien et américain commence à peine à s’apprivoiser au même rythme qu’elle s’englace ou fond.
Ce voyage, cette quête n’a pu être possible que grâce aux conditions météo exceptionnelles et également grâce à Manevaï lui-même, qui est un navire solide nous offrant la possibilité d’être libres et autonomes. Le NWP nous a demandé beaucoup de précautions et d’attention ces dernières semaines et nous continuerons ainsi jusqu’à notre dernière escale à Sitka, à plus de 1 800 milles de notre position actuelle. Le passage du Nord Ouest, c’est aussi à mes yeux une question de chance. Si les phénomènes intangibles et non maîtrisables par l’homme n’étaient pas de notre côté, la victoire n’aurait pas été certaine.
La fonte des glaces est un phénomène flagrant. Pas besoin d’être un scientifique pour s’en apercevoir. 20°C à des latitudes supérieures au Cercle Arctique ne semble pas une température normale. Nous l’aurons refranchi, mais de son côté ouest le 07/09/16 à 07h18. Les zones habituellement et historiquement englacées se sont libérées quelques jours avant notre passage. D’ailleurs, ça ne passe plus du côté de Barrow maintenant, comme quoi les glaces, c’est une question de timing et les opportunités de passage sont à saisir rapidement, comme toute bonne affaire. Le Peel Sound avait, souvenez-vous, un englacement inférieur à 1/10 ème (sur ses côtes est, que nous avons longées). Manevaï est même allé chercher les glaçons (du 6/10ème ) et la banquise dérivante pour la voir. Qui dit banquise suppose aussi la faune qui l’habite mais nous n’avons pas été chanceux de ce côté là. Aucun ours blanc à l’horizon. Nos pousses-glace seront restés à poste sur les haubans tout ce temps. La probabilité que l’on ait à les utiliser est très faible. Toutes ces voies d’eau ont été praticables cette année.
L’équipage a célébré cette réussite avec un délicieux repas où foie gras et champagne furent de sortie. Manevaï a même trinqué avec nous (photos et vidéos à suivre). D’ailleurs pour les photos, et bien nous sommes tous confrontés à d’énormes contre-temps et vous aurez le plaisir de revivre chaque étape a posteriori sur notre site et nos réseaux sociaux.
Faire coïncider une vie en mer où toute proximité avec la vie civilisée est rare et une vie « connected » que tout le monde est habitué à vivre n’est pas une mince affaire (ou la panacée comme dirait Eric). L’iridium du bord nécessite une bonne orientation tout comme l’auto-pilote a besoin d’un cap sympathiquement loin du pôle magnétique. Passé Barrow, il retrouvait un peu ses couleurs et se comportait très bien.
Après Barrow, les vents de nord nous propulsaient vers la ligne d’arrivée, notre vitesse de fond affichait 7 nœuds en moyenne, voire plus car nous avons parcouru 164 milles entre le 04 et 05 septembre puis 171 entre le 05 et 06 septembre. Un record.
Depuis Brest, le spi aura été envoyé 7 fois, 6 pavillons de courtoisie auront été hissés, 1 550 litres d’eau auront été transportés par jerricans par la force de nos biceps (bien gonflés maintenant), le quartier maître Perkins compte plus de 7 066 heures à son palmarès depuis sa mise en service.
Côté faune, dauphins, globicéphales, baleines, phoques, lièvres arctiques, bœuf musqué et beaucoup de crottes de mammifères inexistants (ours blanc, grizzly, caribou …) à nos yeux auront été admirés par l’équipage. Ah oui et n’oublions pas les satanés moustiques de Qaqortoq.
Nous décompressons un peu à Nome désormais. Je vous raconte tout ça plus tard.