Vendredi 7 octobre
Manevaï est parti hâtivement de Kodiak lundi midi (03/10) après trois nuits d’escale pluvieuse. Nous avions une fenêtre météo à saisir, et rapidement. Effectivement, les dépressions s’enchaînent dans la zone en cette saison d’automne et sont accompagnées de vents forts, que l’on qualifiera, avec une tendresse maternelle, de « coups de chien ». Nous en évitons un certain nombre depuis notre départ de Dutch Harbor, ajustant ainsi la stratégie de navigation. Atteindre Sitka, à 560 nautiques de Kodiak en route directe, présente quelques difficultés : le manque d’abris à proximité raisonnable (il faut en plus se dérouter) et le fait que la fenêtre des vents favorables est trop courte par rapport à la distance à parcourir. En somme, les éléments seront contre nous pour une partie du voyage…
La dépression qui a noyé Kodiak sous un déluge dont se jalouserait le Var ne nous a guère enchanté à nous balader en tenue de combat (même si 100% de l’équipage habite les régions les plus pluvieuses de l’Hexagone). Aussi à Kodiak, les musées et supermarchés sont fermés les dimanche et lundi. Il fallait donc choisir entre alimenter nos stocks, qui en avaient grand besoin, ou faire du tourisme. Je pense que nous avons fait le bon choix, et vous ? Ce temps était propice à aller au cinéma mais le plus proche était à 6 km (comme le supermarché, mais nous avons pris un taxi pour nous y rendre). J’ai trouvé refuge au « Aquamarine Café », qui nous a nourri de pizzas gratos pendant trois jours. Il suffisait de dire à Dino, le patron, qu’elles étaient extra et pouf ! Trois en apparaissent dans mes bars euh bras… Oui, aussi Kodiak regorge de bars en majeure partie peuplés par la gent marine ; pêcheurs, capitaines de tug boats, voileux… Un vieux loup de mer avait plus d’un million de nautiques à son compteur. L’ambiance qui s’en dégage est brute et authentique sans être miteuse pour autant. Tout le monde a de belles histoires à raconter et des expériences à envier.
Cette dépression a donc laissé des vents favorables derrière elle et c’est au travers que nous avons quitté l’île avec plus de 30 nœuds vrai (rafales à 36 nœuds) : une mise en bouche plutôt sportive. Ce qualificatif est juste mais moins approprié que désagréable. Nous n’avons même pas eu le courage de terminer notre dîner et nous nous sommes tous couchés avant 21h30 ce soir-là (sauf Philippe, qui était de quart).
La journée suivante a été beaucoup plus calme, ponctuée de changements de voilure et de régime moteur. Le spi fut envoyé l’après-midi pendant que l’on cuisait dans le cockpit sous un soleil radieux dans un ciel dénudé. Rares ont été les occasions de naviguer sans voir un seul nuage. Le coucher de soleil a aussi été spectaculaire que la nuit qu’il présageait. Voir cette boule orange fondre derrière l’horizon pour transformer le ciel quelques heures plus tard en une couverture d’ébène étoilée. La nuit présentait de superbes éclairages, entre le plancton phosphorescent se remuant dans le sillage et l’aurore boréale incendiant le ciel avec des jets verts et jaunes, c’était simplement magique et aussi une des raisons pourquoi cette entrée se dénomme « Green Go ».
La matinée du 05/10 a été moins (beaucoup moins) drôle lorsque l’on découvrit une fuite de courant électrique, très ennuyeux pour un bateau à coque métallique. Quelques neurones furent perdus au cours de la vérif, qui dura toute la matinée. Les instruments (et le pilote) ayant été débranchés, j’ai barré Manevaï avec un vent faiblissant toute la matinée aussi. Le dériveur intégral est hors de danger, mais il faudra rester vigilant et surveiller ça de près.
Nous continuons notre chemin aujourd’hui (le 06/10) dans la pétole la plus totale vers l’entrée du Cape Spencer, dans l’immensité azure du Gulf of Alaska. Nous distinguons de gigantesques glaciers sur notre travers bâbord, visibles à plus de 80 nautiques ainsi que de majestueuses montagnes onctueusement blanches (bleues puis roses ce matin au lever du soleil). Le soleil lui, nous gâte de sa présence et peaufine notre bronzage (du moins le visage et les mains). A 15h30 nous avons effectué notre 11ème station plancton. Des labbes parasites peu farouches (je les surnomme affectueusement les gitans des mers car ils attaquent les autres oiseaux pour voler leurs proies…) par trentaine décollent et atterrissent derrière la jupe et nous guettent. Le filet de plancton, plus exactement son flotteur orange, a souvent été convoité par les volatiles environnants à chaque station. Ils attendent désespérément quelque chose et ce quelque chose n’arrive jamais. Le filet ayant déchargé une quantité considérable de plancton a certainement aussi attiré … des baleines ! Deux humpback whales se prélassent à la surface à moins de 100m du bateau. On entend nettement leurs souffles grâce au calme plat de la mer et du vent. Elles apparaissent vers l’étrave, puis à l’arrière et font même décoller le troupeau de labbes par leur présence effrontée. Un autre moment magique à marquer dans les annales.
Vendredi 7 octobre, Manevaï trace toute toile dehors mais le vent forcit. On enroule le génois, on amène le Foc, on réduit la grand-voile d’un ris, puis deux… Après une belle matinée de manœuvres, un superbe troupeau de dauphins du Pacifique viennent jouer et danser dans notre sillage et dans l’écume produit par la coque pendant une petite heure. Ils ont le ventre blanc et des ailerons plus marqués que ceux que l’on connaît près de nos côtes. Je fonce à l’étrave admirer leur prouesse de plus près. Un nage sur son flanc le long de la coque, juste en dessous du balcon. Je vois son œil qui me sourit. Féérique. Toujours les sommets enneigés le long de la côte, le paysage se montre beaucoup plus verdoyant à notre approche des côtes. Des pinèdes partout, juste partout. On mouille à Didrickson Bay pour la nuit.