Le parcours de Manevaï 1ère partie : De Brest au détroit de Lancaster 7 juin 2016, veille du départ. Le bateau est prêt, la coque est propre, le gréément révisé, tous les apparaux et le moteur ont été vérifiés, les rechanges embarquées. 1.2 t de nourriture (sans compter le liquide !) a été rangée (difficilement) à bord mais la veille du départ c’est toujours l’effervescence… Dernière interview par Sophie Bécherel qui souhaitait qu’on lui parle des prélèvements de plancton que nous allions exécuter pour Plankton Planet Arrive enfin le 8 juin date du départ. Dernière photo de l’équipage avec son principal sponsor, Philippe, dont le soutien a été déterminant. Merci Philippe ! Et c’est le départ sous un grand soleil Et un grand calme accompagné par Galaad autre voilier du Club Nautique de la Marine de Brest Après une traversée tranquille de la Manche, première escale aux Sorlingues Toujours accompagné de Galaad. Mais première escale, première surprise. Quand il s’agit de repartir, le démarreur refuse tout service. Pas de problème pensons-nous, nous avons un rechange à bord. Mais après démontage nous constatons avec déplaisir que le bendix du rechange n’a pas le même nombre de dents !….. Décision malgré tout est prise de continuer sur Kinsale . Si on prétend faire le passage du Nord-ouest, ce n’est pas un démarreur récalcitrant qui va nous arrêter ! Le surlendemain, arrivée sur Kinsale, prise de coffre délicate avec peu de vent, du courant et … pas de moteur. La chance nous sourit car nous retrouvons nos amis Andrew et Máire, propriétaires d’un magnifique cotre de Bristol “Annabel J”. Ils possédaient avant “Young Larry”, un autre cotre avec lequel ils ont franchi deux fois le passage du Nord-ouest. Andrew est l’auteur du guide Imray “Arctic and Northern Waters”, l’indispensable sésame pour qui veut naviguer dans ces régions. Máire est originaire de Kinsale, le problème du démarreur sera vite réglé. Annabel J, le beau cotre de Bristol mené en double par Andrew et Máire. Le 16 juin au matin nous repartons, et doublons peu après le Fastnet, dernières terres avant le Groenland Rapidement la météo se dégrade… Le vent reste désespérément ouest sur tout l’Atlantique nord, ne laissant d’autre option que de tirer des bords dans un vent oscillant entre 25 et 40 noeuds. Quoique dans un certain inconfort…. La vie à bord s’organise. A la manoeuvre, comme aux tâches ancillaires, mais qui maintiennent le moral de l’équipage au beau fixe. 18 jours plus tard…. Les côtes du Groenland apparaissent enfin au loin (la visibilité horizontale peut atteindre 70 Nq sous les hautes latitudes). La mer se calme… Il faut panser les bobos: l’étai de trinquette n’a pas aimé le régime qui lui a été imposé et a cassé au ras de la chape supérieure. C’est la trinquette qui a retenu le mât mais ses coutures ont modéremment apprécié. Il y a du travail … Il convient aussi de commencer à étudier sérieusement les cartes des glaces. Nous profitons de l’accalmie pour effectuer la première “station plancton” : cela consiste à remorquer un filet aux mailles très fines pendant 10 minutes, à récupérer le contenu du bol, puis le déhydrater soigneusement et sans le polluer. Bien sec, l’échantillon se conservera pour une analyse ultérieure. Simultanément, un relevé précis des conditions environnementales est effectué comprenant entre autres une mesure de la transparence de l’eau au moyen d’un disque de Secchi (photo). L’ensemble est ensuite transmis à la station biologique de Roscoff aux fins d’analyse. Nous le constaterons régulièrement, les animaux de ces régions, peu habitués à voir du monde sont curieux et peu farouches. Une nuée de pétrels fulmar nous entoure bientôt ainsi qu’une famille de globicéphales. Le 5 juillet nous entrons à Qaqortoq, le grand port du sud du Groenland. La traversée a été éprouvante, pour l’équipage comme pour Manevaï mais les deux se sont magnifiquement comportés. Qaqortoq est l’une des grandes “métropoles” du Groenland (3 000 hab sur 55 000 hab), à l’architecture scandinave typique. Pas de réseau routier mais un aéroport. Comme tous les villages du Groenland, Qaqortoq dépend intégralement de la mer pour la logistique. Les navires sont donc capables de naviguer dans les zones englacées. Il y en a assez peu cette année. Nous avons de la chance car à cette saison le port est souvent difficilement praticable car envahi par de la glace arrivant de la côte Est du Groenland et entraînée par les courants (storis). Il n’y a bien sûr aucune infrastructure pour les navires de notre taille. On fait au mieux… Quant aux formalités d’entrée… elles attendront Nuuk, la capitale. Il faut aussi garder un oeil sur ce qui se passe sur le plan d’eau : des fois qu’un iceberg veuille venir à couple ! Pour faire le plein d’eau c’est très simple : il faut commencer par trouver un pompier, lui faire comprendre (personne ne parle danois à bord et encore moins le kalaallisut, la langue officielle), qu’on aimerait bien qu’il nous prête manches, lance, clé. Pas de chance ce n’est pas lui mais un autre pompier qui pourra décider si oui ou non. Il faut ensuite trouver un agent du port pour décadenasser la bouche à incendie près de laquelle nous sommes venus nous accoster. Une fois tout branché, rincer abondamment jusqu’à ce que l’eau, très jaune au début, redevienne à peu près claire. Il ne reste plus qu’à remplir les caisses à eau. Mais pas évident avec 7/8 bars de pression ! Obligé de rester en jet plein puisqu’en jet diffusé rien ne rentre dans le nable… La solution : ouvrir au minimum la vanne sur le quai et réguler le débit en pliant plus ou moins la manche : sportif et … humide ! Lupins arctiques : profites en bien Manevaï, tu n’en verras plus de sitôt .. Quand le vent se lève, la mer du Groenland est courte et dure. Aussi préférons-nous remonter par ce qu’il est convenu ici d’appeler les “inner routes”. Pourquoi ce nom ? Parce qu’elles contituent le véritable réseau routier du Groenland. Ici pas de macadam (hormis “en ville” et encore), les locaux se déplacent sur de petites embarcations – 5 mètres, parfois moins, d’où l’intérêt des routes abritées – équipées d’un unique moteur hors bord de 60 à 90 cv. Pour faire leur courses, en famille le plus souvent, ils n’hésitent pas à parcourir 50/60 nq aller, autant retour. Et en plus d’être abritées, elles sont spectaculaires. Et là le spectacle est magnifique, Des grands icebergs, des plus petits, de différentes couleurs de différentes formes. Des mouillages tranquilles dans d’anciennes stations baleinières, L’équipage est en permanence aux postes d’admiration mais il vaut mieux quand même se couvrir car le fond de l’air est un peu frais. Les baleines à bosses sont très présentes. C’est une navigation magnifique mais assez délicate : certains passages sont très étroits, les fonds sont rocheux avec des remontées brutales généralement indiquées par la présence de kelp et la cartographie disponible quoique dans l’ensemble assez fiable présente néanmoins des fantaisies relativement fréquentes. Il ne faut pas s’émouvoir si le GPS nous met “à terre” ! C’est là que l’on apprécie d’avoir un dériveur intégral avec 10mm d’alu dans les fonds et une quille basculante (et non relevable). Après 75 Nq de ce régime nous ressortons en pleine mer pour larguer notre première bouée dérivante dans la zone que nous avait indiquée Météo France. Ces bouées transmettent toutes les heures une série de paramètres environnementaux et leurs données permettent d’affiner les prévisions de dérive des icebergs. Larguée à 20 Nq des côtes cette première bouée n’aura pas une longue carrière : 15 jours après sa mise à l’eau elle sera récupérée par un pêcheur qui l’abandonnera dans son “jardin” où elle continuera consciencieusement à émettre : jusqu’à ce que Météo France ne la désactive… Petit arrêt à Faeringhavn, ancienne station de pêcheurs férugiens. Si les locaux vie sont encore en bon état et semblent abandonnés depuis peu, il n’en n’est pas de même avec les locaux techniques. Il y a même un livre d’or ! La pêche est bonne (dans tous les sens du terme) ! Le 12 juillet nous accostons au Kutterkaj, le quai des cotres où nous découvrirons trois autres candidats au passage du Nord-ouest : un Boréal, le Dame Jane de Jean-Michel Viant et Macapa, un maracudja. Que des bateaux sérieux et dessinés pour ce genre de navigation mais, pour des raisons diverses, aucun ne réussira le passage cette année-là. Pour la petite histoire, ils nous accueillent avec gêne et de façon très distante. Nous apprendrons que le bruit avait couru que nous avions perdu un membre de l’équipage à la mer. L’atmosphère s’est détendue après dissipation du quiproquo. Mais nous n’avons pas pu découvrir d’où est partie cette rumeur. Nuuk est la capitale du Groenland. Elle concentre presque la moitié de la population du pays (55 000 hab). C’est donc une véritable ville, avec centres commerciaux, zones de bureaux. Elle ne renie pas son origine danoise comme en témoigne le très intéressant musée de Nuuk. Dans les supermarchés figurent parmi les objets “essentiels”de la vie courante les moteurs hors-bord ou les carabines. Pour trouver de la bière ou du vin en revanche c’est plus difficile et beaucoup plus cher… C’est aussi une ville qui a grandi trop vite, attirant une population découvrant la modernité et rêvant d’une vie plus facile mais qui se retrouve finalement entassée dans des HLM. On ne peut être qu’admiratif devant les capacités d’adaptation de ce peuple qui a vécu ici pendant trois mille ans et s’est parfaitement adapté aux difficiles conditions climatiques. Il a dû faire en cinquante ans le chemin vers la modernité que nous avons fait en cinq cent ans si ce n’est plus. Cela ne va pas sans problèmes : comment concilier le maintien des traditions, continuer à chasser le phoque tout en ayant des plats préparés surgelés dans le congélateur. Problèmes particulièrement aigus chez les jeunes : désœuvrement, taux de suicide élevé, alcoolisme…. Le grand Nord c’est aussi des crépuscules sans fin aux douces couleurs pastel Dans chaque “grand” port se trouve un Sømandshjemmet, l’équivalent local de nos maisons des gens de mer. C’est notre camp de base à terre : restaurant, douches, blanchisserie et surtout… Internet ! Mais notre escale à Nuuk n’était pas que touristique : il fallait changer l’étai de trinquette, cassé dans l’Atlantique, démonté à Qaqortoq, précisément mesuré et commandé à notre équipe logistique à terre. Elle a fait des merveilles et je savais que les pièces étaient arrivées au Groenland. Alors que je m’apprêtais à quitter le bord et rejoindre l’aéroport en taxi pour aller en prendre livraison dans les bureaux de la messagerie, un gars déboule le long du bord avec un gros colis à la main. C’est notre étai de trinquette. Comme je lui demande un peu interdit comment il a fait pour nous trouver – cela ne fait pas une demi-heure que nous sommes arrivés – il me répond le plus naturellement du monde : votre dernière position AIS !!! Décidément, c’est un instrument précieux ! Du coup le 14 juillet ne sera pas jour chômé… mais celà reste néanmoins le 14 juillet ! La belle tenue de l’équipage, le succès de la réparation et le 14 juillet, tout cela mérite bien quelques bulles !…. Et un excellent repas ! Nous quittons Nuuk, le 17 juillet, formalités administratives remplies et tout pleins faits par un temps plutôt maussade. Cela va empirer au fur et à mesure que nous remontons jusqu’au coup de vent, portant heureusement. Ce n’est pas très confortable. En pleine nuit (mais il fait toujours jour !) l’estrope de l’écoute de génois manque pour cause de ragage. A récupérer en catastrophe le tangon qui s’agite sur le pont, et à rouler le génois. Le temps se calmera plus tard dans la journée et nous arriverons à Aasiaat le 19 en soirée après une traversée expresse. Aasiaat est une des principales villes du Groenland. L’architecture reste typique mais on sent que l’on est plus nord. Les tuyaux (qui ne peuvent être enterrés car on est directement sur la roche) servent à transporter de l’eau chaude pour le chauffage. L’eau potable quant à elle est stockée dans des citernes individuelles. La compagnie locale des eaux vient les remplir à la demande. Nous aurions pu faire appel à elle mais comme nous pouvions nous brancher sur la citerne du port et que nous maîtrisons maintenant la technique…. La poissonnerie locale est bien achalandée : poissons de toutes sortes, phoque, narval, baleine…. Très important pour les marins que nous sommes, c’est à Aasiaat que se trouve la station de radio principale du Groenland : elle diffuse la météo, les avurnavs et assure les fonctions d’un CROSS. Ne pas oublier de se signaler à elle au moins une fois par jour sous peine de déclencher des recherches (on l’a fait !). La sécurité en mer y est prise très au sérieux. Aasiaat possède également un superbe musée mettant bien en valeur l’ingéniosité et la capacité d’adaptation des inuits. ainsi que leur sens artistique Nous quittons Aasiaat le 21 juillet. La visibilité n’étant pas terrible nous faisons une petite halte près d’une île voisine. Et en profitons pour pêcher. Des morues biensûr mais Morgane pêche aussi un loup de l’Atlantique. Aucun lien de parenté avec les loups/bars bien connus de nos côtes. C’est un poisson qui est réputé localement : honnêtement je préfère la morue et de loin. Le lendemain grand beau. Nous savons que nous allons rencontrer beaucoup d’icebergs alors nous convenons d’une séance photos : mise à l’eau de l’équipe de prise de vue Et voici le résultat ! Puis nous remettons en route. La glace se rapproche. Le Jacobshavns Isfjord est LA plus grosse fabrique d’icebergs de l’hémisphère nord. C’est là dit-on que serait né le glacier qui a coulé le Titanic. 5 Nq de large, 1500 m de haut, il avance de 10 m par jour. Je vous laisse faire le calcul…. Mais malgré tout il recule comme vous pouvez le constater en regardant notre route. Au fur et à mesure que nous rapprochons le temps se rafraîcit nettement. Eh oui ! La glacière est grande ouverte et elle est pleine. Puis arrivée à Ilulissat. Port de pêche actif mais sans grand charme. Nous sommes rapidement rejoint par le Boréal rencontré à Nuuk. Ilulissat est une petite ville symphatique très touristique en raison de la proximité du glacier et comme toujours à l’architecture danoise. La notion du temps est particulière ici : voyant de l’activité à bord du petit bateau de pêche à couple duquel nous nous sommes installés nous nous enquérons de savoir s’il compte appareiller. Non nous assure-t-il. Les préparatifs continuant nous demandons confirmation. La réponse est alors oui, mais vous avez le temps. Cinq minutes plus tard il nous largue sans préavis. Appareillage d’urgence, récupération en catastrophe des équipiers encore à terre et puisque c’est comme çà on part ! Grand beau Ce beau temps permet de vaquer à quelques occupations ancillaires : lessive, tri des patates qui commencent à germer…. Puis après une courte navigation arrivée à Sarqaq. Nous apercevons un autre voilier. Français qui plus est ! Il s’agit de Guirec Soudée et de sa célèbre poule Monique. Il connaît bien le coin puisqu’il a hiverné à une cinquantaine de nautiques de là. Il se prépare aussi pour le passage du Nord-ouest. Sarqaq est un tout petit village mais très photogénique. On y voit de nombreux chiens de traineau. Ils ont l’air bien sympathiques à regarder comme cela mais attention : ce sont des bêtes féroces et toujours attachées. L’été c’est relâche pour elles, pas de neige elles sont au chômage. Le spectacle est absolument magnifique. Les flotteurs que l’on voit sur la photo matérialise un énorme câble censé empêcher les icebergs de venir envahir le mouillage. Nous avons été tranquilles. 23 h : lumière absolument sublime… Appareillage le lendemain, c’est l’anniversaire du chef de bord. Les cuisinières se sont surpassées! Nous aurons très beau temps pour la traversée vers Baffin. Spi la moitié du temps Et l’équipage ne manque pas d’activités : boulange, y compris pour Stormtrooper, la mascotte du bord Couture prélèvement de plancton, couture encore Mise à l’eau de la deuxième bouée dérivante. Celle là aura une carrière bien plus longue que la première.Elle descendra gentiment le long de la presqu’ile de Baffin, sera prise dans la glace à hauteur de Clyde river au début de l’hiver et cessera alors d’émettre. Mais elle refera surface au dégel et continuera sa descente le long du Labrador. Elle émettra pendant deux ans. Le 27, après avoir un peu arrondi vers le nord pour contourner un peu de glace, nous arrivons en vue de Baffin et plus précisément de … Erik Harbor ! A suivre ! Crédits Photos Eric Anne Philippe