Le parcours de Manevaï 2ème partie : Le Passage du Nord-Ouest Atterrissant sur Erik Harbor, nous arborons désormais fièrement le pavillon du Nunavut. L’expérience de 2014 nous a été utile. Je savais que je n’en trouverai pas au Groenland et l’avait fait confectionner sur mesure avant le départ. Pond Inlet étant libre de glaces nous décidons de nous y arrêter. Manevaï s’engage dans le chenal entre Baffin et Bylot Island sous spi, courant favorable vitesse fond 8 nds. L’arrêt à Pond Inlet sera bref : formalités administratives, petit complément de gazole. Mais on ne peut plus faire le plein en venant beacher sur la plage comme en 2014, C’est une nouvelle réglementation, pour éviter les rejets intempestifs paraît-il ! Il faut donc le faire avec des jerricans ce qui bien sûr provoque quelques fuites, sur la plage comme à bord. Cela m’a irrité et nous repartons en fin de journée, dès que c’est fini, direction Cape Hatt à 45 Nq dans l’ouest de Pond Inlet. Cape Hatt, c’est le mouillage parfait : 1000 m dans sa plus grande longueur, encaissé, protégé de tous les vents. A 200 m de l’entrée nous ne la distinguions pas encore ! L’eau est un miroir quand nous y rentrons. Nous avons donc dormi sans la moindre crainte de chasser. La journée du lendemain fût consacrée à des travaux de maintenance (vidange, changement de filtres, etc) Et entraînement au maniement du fusil. Objet obligatoire dans la région où l’on est tenu d’assurer soit même sa protection contre les ours et autres boeufs musqués. Nous repartons le 30 juillet. Avant de remonter le Navy Board, nous faisons le tour de Ragged Island par le sud (plutôt limite, les crabes du coin s’il y en a, s’en souviennent encore : vive les dériveurs !) pour aller faire un tour dans Milne Inlet réputé être fréquenté par les narvals. Pas de chance, nous n’en verrons pas mais la beauté sévère du Navy Board nous consolera. Mouillage devant Tay Bay pour voir des ours – nous n’en verrons pas non plus- et faire de l’eau. Surprise, nous voyons un AIS, français qui plus est, se rapprocher de nous. Il s’agit de Maewan 4, sympathique équipage mixte de marins (dont Jeanne Grégoire) et de montagnards fous furieux qui n’aiment rien tant que de monter en autonomie sur les montagnes les plus isolées et les plus inaccessibles. Petit goûter en musique avant que Maewan ne reprenne la route. Nous ne le savons pas encore mais nous les reverrons plusieurs fois. Appareillage le lendemain vers Cumming Inlet sur la côte sud de l’île Devon, la plus grande île inhabitée au monde. Nous devions avoir 20/25 nds de vent, nous en avons eu plus de 40. Traversée difficile, mauvaise visi, grains de neige, quarts par bordée car le pilote qui devenait de plus en plus paresseux refuse de faire le job. Mais il a une excuse : la proximité du pôle nord magnétique.Le lendemain, à l’entrée de Cumming Inlet, le coup de vent est passé et nous voyons Lars, un ancien remorqueur transformé en yacht. Cumming Inlet est un bon mouillage. Ils sont rares dans la région, car les fonds descendent très vite et de plus les fonds sont de très mauvaise tenue. Les gels et dégels quotidiens font éclater la roche, du gneiss et le fond composé de ces éclats forme une soupe dans laquelle bien qu’enfoncée l’ancre dérape allégrement. Le paysage est grandiose. Mais on comprend aisément pourquoi l’île est inhabitée. c’est assez lunaire même. D’ailleurs c’est ici que s’entraînent les astronautes américains et canadiens, car ce qui se rapproche le plus de la lune au point de vue terrain ! Nous sommes venus ici pour voir des boeufs musqués : Ils viennent paître dans les grasses prairies bien vertes que l’on trouve ici ! Nous verrons de nombreuses traces certaines toutes fraîches, mais nous n’aurons pas plus de succès qu’avec les narvals de Milne Inlet ! Le 5 août, 130 Nq plus à l’ouest et sans rencontrer aucune glace, nous arriverons dans un haut-lieu du passage du Nord-Ouest : Terror and Erebus Bay (Beechey Island). C’est une grande baie, bien abritée sauf des vents du sud. Pas besoin de jouer des coudes, nous sommes seuls au mouillage (en 2014 nous y avions passé trois semaines à deux ou trois bateaux selon les moments pour attendre que cela s’ouvre devant. En vain !). Cette baie est entrée dans l’histoire quand l’expédition de l’Amiral Sir John Franklin y a hiverné pendant l’hiver 1845/1846 avec ses deux navires, le Terror et l’Erebus. Ces deux navires seront broyés par les glaces à la fin de l’été 1846. La disparition de cette expédition provoquera en Grande-Bretagne une émotion encore plus grande que la disparition de l’expédition Lapérouse en France. Des dizaines d’expéditions seront montées pour retrouver les restes des équipages, Lady Franklin à elle seule en montera trois. Finalement, ce n’est qu’en 2014 et 2016 que seront retrouvées les épaves , respectivement le Terror et l’Erebus. Le hasard a voulu que je sois sur zone à ces deux dates et nous avons rencontrés le navire qui les a retrouvés. Les tombes sur la photo sont celles de membres de l’équipage de Franklin, décédés pendant l’hivernage de maladie. Il y a sur Beechey Island de nombreux cairns et stèles à la mémoire des membres des différentes expéditions. Parmi celles-ci il en est une qui nous touche particulièrement : celle à la mémoire du lieutenant de vaisseau Joseph-René Bellot. Il disparût non loin de là, alors qu’il participait – officier de Marine français embarqué sur un navire de guerre anglais!… – à sa deuxième expédition à la recherche de Franklin et de ses hommes. C’est le seul officier de Marine français à avoir droit à une statue en Grande-Bretagne. Subsiste également les restes de Northumberland House, véritable maison réalisée en 1852/1853 avec les restes d’un navire naufragé et destinée à servir d’abri aux explorateurs de passage. De la nourriture y était entreposée à leur intention. Au cas où ! Le décor austère et grandiose, les modestes restes des explorateurs qui nous ont précédés sont particulièrement émouvants Faire le plein d’eau est aisé tant qu’il y a des montagnes et des glaciers. Pas d’inquiétudes sur la propreté de l’eau, le risque de pollution industrielle ou qu’un ours y fasse ses ablutions au même moment est assez faible. En revanche il faut ôter les gants. Et l’eau n’est pas chaude…. Puis route sur Resolute Où nous découvrons deux autres voiliers arrivés quelques heures avant nous : un Dufour 35 (modèle années 70) suisse Bonaventure et un Romanée français, Ratafia. Outre son aspect lunaire et le fait d’être le deuxième village le plus nord du Canada, Resolute est intéressant à plus d’un titre. Il existe une différence forte d’interprétation du droit de la mer entre les USA et le Canada. Pour les USA, le passage du Nord-Ouest est un détroit international, donc libre de navigation tant que le transit y est “continu et rapide”. Mais les Canadiens considèrent ce passage comme des eaux intérieures, donc sous leur pleine et entière juridiction. Et pour bien le faire comprendre ils ont décidé, dans les années 50 de “peupler” l’arctique canadien. C’est ainsi que quelques familles d’un village de la baie d’Hudson se sont retrouvées larguées dans ce qui devait devenir Resolute, village créé de toutes pièces. Climat différent, ressources différentes (donc méthodes de pêche différentes) l’acclimatation fût rude…. C’était aussi l’emplacement de l’un des radars de la DEW line (Defense Early Warning), radars permettant la détection des lancements de missiles balistiques soviétiques. La DEW line n’existe plus aujourd’hui ou plus précisément elle a été modernisée : c’est le North Warning System. Il existe toujours une base militaire et scientifique qui n’a que peu, voire pas, de contact avec les quelques 250 habitants de Resolute. On y trouve aussi une importante capacité de ravitaillement. Bien que très loin d’être à sec nous voulons justement faire le plein. La prudence veut que l’on puisse rejoindre exclusivement au moteur, non le village suivant (qui peut être en rupture de stock) mais celui d’après : d’où ine autonomie au moteur “raisonnable” de 1 200 Nq. Mais tout comme à Pond Inlet, la réglementation interdit maintenant les ravitaillements beaché sur la plage. La perspective de se coltiner des dizaines et des dizaines de jerricans ne nous sourit pas du tout. Le patron de l’entreprise locale de BTP nous trouve une solution miracle : On va vous faire un quai !!! Et hop, le lendemain les engins entrent en action. Cela nous prolonge quelque peu l’escale mais ce n’est pas encore ouvert plus au sud donc le jeu en vaut la chandelle. Et voilà le travail ! Normalement un chalutier (?) a dû également l’utiliser trois semaines plus tard. Plus probablement quelques autres voiliers de passage. Après une nuit quelque peu agitée – branle-bas à 3h du matin, l’ancre chasse – et puisque nous avons un peu de temps, visite touristique du bled, de ses monuments et de ses habitants emblématiques : c’est rapidement fait. L’important pour nous est de trouver Internet, denrée plutôt rare dans ce pays. Nous allons le trouver chez le patron de la société locale de BTP, celui-là même qui nous a fait construire le quai. Dans chaque village, le Canada mandate une société de BTP pour créer et entretenir les infrastructures locales et surtout employer des inuits ce qui leur garantit un revenu minimum. Le dit patron nous accueillera avec chaleur dans son propre bureau et chacun pourra mettre à jour sa messagerie, mettre en ligne un nouveau post pour le blog et pour Eric charger fichiers météo et glaces. Tous les jours, le service canadien des glaces établit une carte à 18h Z. Cette carte est basée sur des observations satellites et radar aéroporté. Certaines informations ont parfois déjà plus de douze heures lors de l’établissement de la carte et la variabilité d’un jour à l’autre est étonnamment grande. Source imparfaite donc, mais c’est la seule et unique et elle nous est très précieuse. Nous recevons également ce genre de cartes à la mer mais en noir et blanc. Armée de crayons de couleur Anne nous remet cela au clair. Le 6 ça bloque encore. C’est plus dégagé côté Prince Regent Inlet mais il faut alors franchir le détroit de Bellot. Un piège à glaçons et où il peut y avoir jusqu’à 8 nds de courant. Le 7 cela commence sérieusement à se débloquer. Moins de trois semaines plus tard, le passage était à nouveau refermé. En route donc, appareillage en soirée par un beau soleil et un vent plutôt léger. Conditions de navigation idéales le lendemain, navigation sous spi tout en faisant attention à éviter les glaçons (bourguignons disent nos amis canadiens) épars. Petits mais qu’il convient de traiter avec respect tout de même ! Un glacon de la taille de Manevaï pése 60 t ! Le 9, le vent tombe complétement Nous passons par calme plat devant la sortie du détroit de Bellot. Encore bouché. Les autres voiliers qui étaient avec nous à Resolute et avaient appareillé plus tôt seront libérés quelques heures plus tard. Pas stressée la bête ! Mais rapidement la glace comme à se densifier et nous nous retrouvons à naviguer dans un chenal de 5/8 Nq de large avec d’un côté la côte et de l’autre de la glace 8/10. C’est trop tentant, nous nous arrêtons pour déjeuner en nous amarrant au premier floes venu. Quelques photos souvenirs L’équipage est aux anges Mais il ne faut pas tenter le diable et rapidement se dégager. Prendre un peu de hauteur aide à trouver le bon chenal de sortie. Les cartes du service canadien des glaces avaient raison, la glace se fait plus rare en arrivant à hauteur de l’île du Roi Guillaume. Nous pourrons continuer paisiblement notre route vers Gjoa Haven, routine du large : navigation, cuisine, météo, entretien. Les winches par exemple. Brève halte dans la péninsule de Gibson pour réparer… Puis arrivée dans la soirée (23 heures) à Gjoa Haven Rapidement rejoint par nos camarades que le canal de Bellot a finalement libérés. Le mouillage devient même encombré car viennent nous rejoindre Nomad (Autriche), Breakpoint (Allemagne) et Yvinec (Guirec et sa poule Monique déjà rencontrés au Groenland) Gjoa Haven est la plus importante “bourgade” où nous nous sommes arrêtés jusqu’à maintenant. Son nom vient bien sûr du “Gjoa”, le bateau d’Amundsen avec lequel il fût le premier à franchir le passage du Nord-Ouest (1903-1906). Il a hiverné deux hivers de suite ici et s’y est manifestement plu. Il a en particulier fait des observations sur le pôle magnétique terrestre. Son souvenir reste vivace, certains l’appellent même grand-père….. Un “cairn” à son honneur domine toute la baie. Gjoa Haven est bien équipé : Outre l’église, l’école et la superette “Northern” habituelles, ont été construits un musée/bibliothèque très intéressant (et où nous trouverons Internet), Un bâtiment regroupant les services sociaux, Une grande infirmerie Dans la douceur du soir les villageois viennent en famille pêcher l’Arctic Char (cousin de l’omble chevalier), excellent poisson tant frais que fumé. Nous acheterons des cuillères “spéciales” Arctic char hélas sans aucun succès. Ravitaillement en gazole habituel, moins acrobatique cette fois, car s’il n’y a pas assez de fond pour s’accoster le long de ce superbe môle, il suffira de s’embosser. Et de surveiller de près les locaux, sympas et joviaux mais pour qui une peinture de coque n’est qu’un concept !…. Et nous remettons en route le 13 août. La météo pour Cambridge Bay, la prochaine escale est a priori sympathique, ce qui nous va bien car désormais les fonds sont faibles, il y a des cailloux un peu partout et du courant. Premiere difficulté “Simpson Strait”. Au plus étroit, la partie navigable ne fait que 200 m, les îles sont basses et le phare est éteint. Bon Ok, il fait jour tout le temps à cette saison ! Voici ce qui remplace aujourd’hui la DEW Line : radars nouvelle génération, c’est le North Warning System (NWS) Arrivée deux jours plus tard à Cambridge Bay. Si Gjoa Haven était une préfecture, Cambridge Bay est une métropole. Traditionnellement les voiliers de passage rendaient visite à Peter Semiotuk routeur bénévole des aspirants au passage du Nord-ouest. Il continue maintenant à nous router mais depuis Winnipeg où il a pris sa retraite. Merci Peter. On trouve à Cambridge Bay toutes les commodités habituelles dans le nord, nous pouvons aussi faire le plein d’eau (hors de prix) On peut s’y déplacer en hydravion vers les communautés voisines, On y trouve des chasseurs impénitents, une High School Le “ulu” couteau arrondi pour dépecer les animaux est l’outil de base : l’opinel chez les marins français ! “Heritage Center” sympa Qui nous prouve que les inuits savent pêcher l’Arctic Char Et nous pas ! C’est ici que nous croiserons les voiliers qui sont sur la route Ouest-Est Ainsi que d’autres navires, mais là nous ne jouons pas dans la même cour ! Nous y croisons aussi notre premier brise-glaces canadien : ici le Sir Wilfrid Laurier. Ce sont des bâtiments pas très grands (4 000/5 000 T) anciens mais remarquablement entretenus. Leur conception -propulsion électrique – est très intéressante. Ces bâtiments sont d’une importance cruciale pour le Nunavut. Brise-glaces bien-sûr, mais aussi navires de sauvetage, de transport, scientifique…. Mais nous y croisons aussi l’histoire du passage du Nord-Ouest. Le “Maud” est un navire contruit pour Amundsen pour ses expéditions arctiques. Mais il était meilleur explorateur qu’homme d’affaires et il doit le revendre. Il coule peu après à Cambridge Bay. La Norvège a racheté l’épave et a décidé de ramener le bateau du glorieux explorateur en Norvège. J’ai croisé ce remorqueur en 2014 lors de ma première tentative. En 2016 il n’a toujours pas fini de renflouer. Ce n’est qu’en 2017 qu’il pourra repartir. Histoire toujours, ce navire scientifique est à la recherche du deuxième bateau de l’expédition Franklin. L’Erebus avait été retrouvé en 2014. Le Terror sera retrouvé quelques jours après notre passage. En venant de Gjoa Haven, sans le savoir, nous sommes passés tout près de son épave. Cela faisait 170 ans que les Britanniques recherchaient activement ces épaves. Nous prenons aussi le temps de commencer à sympathiser avec Tom et Tadjana de Breakpoint Nous sommes les derniers à quitter Cambridge Bay, 24 h après Yvinec et Bonaventure. Mais par le plus grand des hasards il y a un regroupement dans Coronation Gulf et nous nous retrouvons à sept bateaux à moins de cinq nautiques les uns des autres : Maewan 4, Nomad, Yvinec, Bonaventure, Ratafia (c’est lui que l’on voit devant), Breakpoint et nous. Nous nous tirons la bourre tout l’après-midi : ambiance course ! Nous nous arrêtons avec Breakpoint à Bernard Harbor Le paysage a maintenant bien changé : plus de montagnes, plus de glaciers, tout est plat On est plus sud aussi, la végétation est plus “exhubérante”. Ce qui profite à la faune locale, ici un lièvre arctique, pas du tout stressé à notre approche. Il ferait peut-être bien de se méfier car pas très loin … vole ce qui ne doit pas être un copain ! A Bernard Harbour il y avait aussi une station de la DEW line. Après une enquête approfondie nous avons fini par percer le mystère des équipements sous les coupoles. Pas de doute, la DEW Line était bien là pour emm…. les soviétiques ! Petit saut de puce de 200 Nq jusqu’à Pearce Point Harbor, réputé être un excellent mouillage. Gros courant à l’arrivée, 9.5 nds sur le fond, nous avons tout juste le temps de ramasser le spi pour ne pas rater l’entrée plutôt étroite. Excellent mouillage en effet, nous en profitons pour nous dégourdir les jambes. L’exubérance de la végétation nous surprend Il y a du caribou intéressé, malheureusement nous n’en verrons pas; Nous en verrons plusieurs mais nous faisons ami-ami avec un phoque barbu. Il était à l’arrivée pour nous accueillir. Il nous rejoint pendant la balade. Nous quittons à regret ce magnifique mouillage, le passage du Nord-Ouest est une course contre la montre Notre copain le phoque nous voit aussi partir à regret et nous fait un rin de conduite. En route vers Tuk (Tuktoyaktuk en fait mais tout le monde dit Tuk !) Sur la route, près du Cap Bathurst, nous découvrons une curiosité, déjà signalée par l’Amiral Franklin lors d’une autre tentative de franchissement du NWP, par l’ouest cette fois-ci, 20 ans avant celle qui lui fût fatale. Des shistes bitumineux s’auto-enflamment et brûlent en permanence. Autres raretés géologiques courantes dans la région, les Pingos. Ce sont des collines de glace, recouvertes de terre. C’est la pression osmotique de la glace au dessus du pergélisol qui les créent et les fait grandir, elles peuvent atteindre 70 m. A terre, c’est sympa, cela donne un peu de relief à un paysage maintenant désespérément plat. Le problème est que ça existe aussi sous l’eau. Certains sont bien mentionnés sur les cartes, mais pas tous. Et quand on sait que la profondeur moyenne est de 5 à 10 m dans le coin…. Arrivée à Tuk. Nous ne sommes plus au Nunavut mais dans les “Territoires du Nord-ouest”. Le pavillon blanc et jaune avec le cairn est donc rentré, nous arborons la feuille d’érable. Mais nous ne sommes pas dépaysés : même commodités, mêmes magasins (Northern et Co-op), mêmes contructions approximatives et premier aigle. Pas de doute l’Alaska n’est plus très loin ! Nous faisons un séjour prolongé au cimetière : Non, aucune curiosité morbide de notre part. Nous sommes à la recherche de la tombe d’un prêtre breton, le père Robert Le Meur qui, d’après Anne Quéméré, serait enterré là. C’était un homme particulièrement apprécié, il était “l’homme qui parlait juste”. Mais nous ne l’avons pas trouvée. Lors de nos balades, nous sommes surpris de voir la quantité de bois flotté échoué sur les plages. Tout ce bois arrive de Sibérie. Mais il continue beaucoup plus loin. Juqu’au côtes du Groenland. Comment les inuits auraient-ils fait pour construire des kayak sans ce bois ? Quand on pense habitations Inuits, on pense igloos. Erreur. Les igloos étaient des abris provisoires, des résidences d’été. La photo représente une demeure permanente, en pierre et beaucoup plus vaste (reconstitution récente). La même à l’intérieur La voiture de Mad Max ? Embarquement épique d’un quad à bord d’une embarcation. Tuk est un mouillage sûr et confortable. Pour une fois, point n’est besoin de faire des acrobaties pour ravitailler. Les copains en profitent. Vie sociale intense une fois revenus au mouillage. Il faut faire honneur à notre pavillon : nos cuisinières nous concoctent de délicieux cookies qui seront unanimement appréciés. Après leur départ, nous nous rendons compte que des lumières se sont allumées à terre. Bon, il ne fera pas plus noir que cela mais c’est un signe. Nous ne sommes plus habitués. cela signifie surtout que la veille des floes et autres bourguignons va commencer à devenir plus délicate. Impossible cependant de ne pas s’arrêter à Herschel, haut lieu de la pêche à la baleine fin XIXème, début XXème. Ce qui ne devait être qu’un saut de puce de 100 Nq a tourné à la punition. Au lieu du N 20/25 nds annoncé nous avons eu du NW 40nds. Seule consolation, nous avons pu atteindre les fonds de 50m avant le plus fort du vent, heureusement car la mer était très courte et très dure. La faute probablement à un courant de surface mal connu. Nous sommes donc bien content d’arriver à Pauline Cove. A la grande époque baleinière, plus de cinquante navires pouvaient mouiller dans cette superbe rade. Herschel était occupée toute l’année, jusquà 500 personnes y hivernaient. On trouvait à Herschel des magasins d’avitaillement (pour les hommes comme pour les navires, un casino, des bars accueillants…. Les baleiniers ne voyaient pas passer l’hiver ! Jusqu’à ce qu’un pasteur, le révérend Stringer débarque avec sa femme et ne remette de l’ordre dans ce lieu de débauche. Curieusement, la fréquentation d’Herschel a rapidement diminué. Nous avons changé de province. Nous sommes maintenant au Yukon. Il y a un véritable petit village sur l’île. Pour en parler, Ricky, le deuxième ranger dit même “downtown”. Les maisons sont soigneusement entretenues par les rangers qui tournent pendant la saison. Nous sommes chaleureusement accueillis par les deux rangers présents sur l’île, Ricky et Edward. Edward, le plus jeune a même sa femme et ses deux enfants avec lui pour quelques jours. Avis aux amateurs : il y en a une qui peut être louée. Elle dispose de tout le confort moderne. Ricky et Edward se font un plaisir de nous faire visiter leurs installations, Leur “Heritage Center”, Gabrielle, la fille ainée d’Edward nous fait une démo de l’emploi des Ray-Ban locales Nous avons ensuite droit à une grande balade d’où l’on peut admirer ce superbe mouillage. Et faire une visite du “Congélateur”. Nous en sommes bien contents car nous n’avions pu visiter celui de Tuk pour cause de ….réchauffement climatique. Nous invitons ensuite tout ce petit monde à bord mais seuls Edward et Gabrielle viendront. C’est le premier voilier qu’elle visite, elle veut tout voir, pose des tas de questions est émerveillée, et ne veut pas lâcher la barre en repartant. Nous aurons enfin la visite d’un bœuf musqué (Musk Ox). La pauvre bête ne sait pas qu’elle l’a échappé belle : elle ne doit la vie sauve qu’au fait que les rangers quittaient l’île trois jours plus tard, pour ne revenir qu’à l’été suivant. C’était un peu lourd à ramener par hélico et ici on ne gâche pas les ressources, …. même s’il y a un grand congélateur ! Nous reprenons la mer le 1er septembre. Nous nous étions donnés jusqu’au 15 septembre pour sortir du passage. Il reste moins de 400 Nq pour Point Barrow, la pointe NW de l’Alaska. L’optimisme règne, nous tenons le bon bout. Cela ne va pas durer ! 40Nq plus loin nous envoyons le pavillon américain. Nous ne devrions normalement plus en changer. Dès le lendemain un coup de vent d’ouest est annoncé. Il faut bien être conscient qu’ici ce n’est pas comme le Pacifique ou l’Atlantique, on ne “voit” pas arriver les systèmes météo. Puisqu’ils se créent sur place ! De plus le maillage des observations est moins denses. Nous décidons d’essayer de nous en protéger. Il y a un certain nombre de petites îles basses près de Prudhoe Bay. Nous portons notre choix sur Spy Island : Excitant comme nom, non ? Et celà nous fera faire un peu de tourisme pétrolier ! Voici ce que nous montre la carte (NOAA mise à jour ). En approchant le vent commence à forcir. Il reste maniable, 20 nds, mais le visi tombe. L’île est basse, la nuit tombe mais nous avons un radar. Problème : ce que je vois sur le radar ne correspond en rien à la carte. Voilà pourquoi ! Et voilà ce que j’aurais aimé voir sur la carte ! A l’époque des satellites, vouloir cacher ce genre d’installations est illusoire. Comment qualifier l’omission délibérée d’informations concernant la sécurité de la navigation : une faute, de la négligence, un délit ? D’autant que l’information est ouvertement disponible sur Internet (www.akrdc.org) ! Je sais bien que pas grand monde ne passe dans le coin, mais cela n’atténue en rien le danger pour ceux qui y sont. En raison de la mauvaise visi, de la nuit, du vent qui forcit, nous ne cherchons pas à voir plus avant si nous pouvons trouver de la place. Nous irons nous abriter à Thetis Island l’île d’à côté, moins protégée, mais le mouillage tiendra. “Quart comme” bien entendu pour la nuit… Nous repartons le 4 septembre en début de journée – sans avoir vu un seul américain, ils devaient préparer leur fête – et progressons bien en route directe vers Point Barrow. Quelques glaçons de temps en temps, histoire de nous rappeler qu’il vaut mieux continuer à être vigilant ! Et nous passons le lendemain, 5 septembre, en fin d’après-midi devant Point Barrow. Nous sommes toujours en avance, nous nous serions bien arrêtés – comme nous avions décidé de le faire dans tous les endroits mythiques du Passage du Nord-Ouest – mais un nouveau coup de vent de nord est annoncé et nous aurions été mal abrités. Nous nous contenterons donc de passer à petite distance. D’autant plus qu’un autre souci commence à me préoccuper. Depuis que nous sommes chez les américains je ne reçois plus de carte des glaces. Nous dépendons de l’émetteur de Kodiak et ne le recevons pas ! Je sais par Peter (Le routeur déjà évoqué) qu’il y a de la glace pas loin mais il m’assure que “çà passe”. Et je sens bien que de son côté, à terre, Cathy s’inquiète. Et de fait, le lendemain matin 5h Philippe me sort de la banette en me disant que cela devient sérieusement encombré devant. Nous avons un mur 5-6/10 devant nous. Pas question d’aller dedans. Que fait-on ? Doit-on contourner par la droite ou par la gauche. Je décide d’aller à terre, même s’il n’y a pas beaucoup de fond, car je considère que la glace vient du nord. Et de fait, Peter avait raison : “çà passe” mais il faut vraiment aller à terre… Il valait mieux ne pas trainer à Point Barrow car le 9 septembre” çà ne passe plus”. Le passage sera à nouveau praticable entre le 30 septembre et la mi-octobre. Qu’aurions-nous fait si nous n’avions pu passer le 6 ? Attendre sans certitude ? Retourner à Herschel et mettre le bateau en hivernage ? Rejoindre nos amis de Nomad sur le fleuve Mackenzie ? Pas d’autre frayeur ou inquiétude. Juste une mer désagréable car nous sommes maintenant sur l’arrière de la dépression que nous avons laissée filer sur l’avant. Et le 8 septembre matin, nous voyons apparaître les îles Diomède, la porte de sortie. Un petit bras de mer (en été, çà se franchit à pied sec en hiver) à peine plus que 2 Nq séparent le côté américain du côté russe. Et le 8 septembre à 15h15 nous pouvons considérer que nous avons franchi le Passage du Nord-Ouest. L’équipage peut avoir le sourire et arroser cela sans oublier Manevaï bien sûr. Le lendemain nous arrivons à Nome, où nous retrouvons nos amis de Breakpoint. Au port nous sommes accueillis en français par une employée de la capitainerie ( oui, un vrai port, nous n’en n’avions pas fréquenté depuis un moment !) ayant fait ses études en Belgique et qui nous précise bien : “Bienvenue en Alaska, car ici vous êtes en Alaska, pas aux USA”. Attention ici de ne pas confondre l’Alaska avec les “49 lower”. A suivre ….. Crédits photos Eric Anne Philippe